Dans la décision qu’ils viennent de rendre dans l’affaire Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, les juges de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») ont conclu à l’unanimité que la Loi sur la protection des renseignements personnels de l’Alberta (la « Personal Information Protection Act » ou la « PIPA ») est inconstitutionnelle. La CSC a toutefois convenu de suspendre la déclaration d’invalidité de la PIPA pendant 12 mois afin de donner à la législature albertaine le temps nécessaire pour décider de la meilleure façon de rendre la loi constitutionnelle. La Colombie-Britannique sera vraisemblablement aussi touchée par cette décision, sa Loi sur la protection des renseignements personnels étant très similaire à celle de l’Alberta.
Le litige sur lequel repose cette décision de la CSC a pris naissance lorsque le syndicat représentant les employés du Palace Casino du West Edmonton Mall, situé en Alberta, a filmé et photographié des personnes en train de franchir la ligne de piquetage érigée près de l’entrée du casino dans le cadre d’une grève légale. Le syndicat a posé à l’intérieur de la zone de piquetage des affiches annonçant que les images des personnes qui ne respectaient pas le piquet de grève étaient susceptibles d’être publiées sur le site Web www.casinoscabs.ca. Le syndicat agissait ainsi pour les raisons suivantes :
Plusieurs des personnes dont les images avaient été captées (notamment un membre de l’équipe de direction du casino, un client du casino et un employé d’un commerce situé près de l’entrée du casino) se sont plaintes auprès du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta (le « commissaire »), alléguant que les activités du syndicat contrevenaient à la PIPA, qui restreint la faculté d’organisme de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements personnels en l’absence du consentement des personnes visées.
La PIPA prévoit des exceptions à l’exigence de consentement, par exemple lorsque la collecte, l’utilisation ou la communication des renseignements est jugée raisonnable aux fins d’une enquête ou d’une instance judiciaire ou lorsque les renseignements sont recueillis, utilisés ou communiqués à des fins journalistiques. Toutefois, comme l’a conclu l’arbitre qu’a désigné le commissaire (une conclusion avec laquelle la CSC était d’accord), aucune disposition de la PIPA n’autorise le syndicat à recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels pour servir ses intérêts dans le conflit de travail.
L’arbitre a conclu que la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels relatifs aux personnes franchissant la ligne de piquetage n’étaient pas autorisées aux termes de la PIPA. Il a donc ordonné au syndicat de cesser de recueillir de tels renseignements pour quelque utilisation que ce soit, sauf aux fins d’une enquête ou d’une instance judiciaire potentielle. Lors d’un examen judiciaire, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a jugé que, en l’espèce, les dispositions de la PIPA concernant l’interdiction de recueillir, d’utiliser ou de communiquer de tels renseignements personnels portaient atteinte aux droits à la liberté d’expression du syndicat. En appel, la Cour d’appel a conclu que la portée de la PIPA était trop large et s’est dite d’accord avec la conclusion de la Cour du Banc de la Reine.
Les juges de la CSC ne voyaient aucun problème au fait que le syndicat ait procédé à la collecte de renseignements personnels en filmant et en photographiant des personnes se trouvant près de la ligne de piquetage et considéraient que filmer ou photographier des actes relatifs au piquetage et diffuser les images captées sont des activités expressives ayant pour but de persuader des personnes d’appuyer le syndicat et de les empêcher de franchir la ligne.
Du fait qu’aucune des exceptions de la PIPA ne permettait au syndicat de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements personnels en vue de faire valoir ses intérêts dans le cadre du conflit de travail, la CSC n’a eu aucune difficulté à conclure que la PIPA restreint la liberté d’expression.
En cherchant à savoir si les effets de la PIPA constituent une atteinte justifiable à la liberté d’expression, la CSC a également reconnu que la PIPA est rationnellement liée à l’objectif urgent et réel de conférer aux personnes un certain droit de regard sur les renseignements personnels les concernant, la faculté d’exercer un tel droit étant liée à leur autonomie, leur dignité et leur droit à la vie privée. Toutefois, les restrictions à la liberté d’expression qu’impose la PIPA ne se justifient pas, car leurs effets sont disproportionnés par rapport aux bienfaits que la loi cherche à promouvoir.
La CSC fait remarquer que la PIPA restreint la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels sans égard à la nature de ces renseignements, à l’objectif de leur collecte, utilisation ou communication et au contexte dans lequel ils se situent. La PIPA ne prévoit aucune façon de tenir compte des objectifs expressifs visés par les syndicats qui se livrent à des grèves générales ni aucun mécanisme permettant de trouver un équilibre entre le droit constitutionnel du syndicat à la liberté d’expression et la protection de la vie privée. La CSC observe que, selon la PIPA, pratiquement tous les renseignements personnels sont protégés, peu importe le contexte. Par conséquent, la CSC a conclu que les restrictions que la PIPA impose relativement à la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels portent atteinte à de nombreux objectifs expressifs légitimes relatifs aux relations de travail.
En se penchant sur la question de savoir si les effets des restrictions sont proportionnels à l’objectif de la loi de protéger la vie privée, la CSC a attiré l’attention sur le rôle fondamental que joue la liberté d’expression dans les conflits de travail. Premièrement, la liberté d’expression se rattache directement au droit des travailleurs, que protège la Charte, de s’associer pour atteindre des objectifs communs liés au travail. Deuxièmement, l’emploi d’une personne et ses conditions de travail sont susceptibles de façonner son identité, sa santé psychologique et la perception qu’elle a de sa valeur personnelle. Troisièmement, dans le contexte du travail, la liberté d’expression peut jouer un rôle important pour éliminer ou atténuer l’inégalité présumée entre le pouvoir économique de l’employeur et la vulnérabilité relative du travailleur. Enfin, la liberté d’expression est susceptible de favoriser des intérêts collectifs plus larges. Par surcroît, la CSC a reconnu que le piquetage constitue une forme d’expression particulièrement vitale, dont l’efficacité dépend de la capacité du syndicat de convaincre le public de ne pas franchir le piquet de grève.
Au terme de son analyse, la CSC a conclu que les restrictions à la liberté d’expression qu’impose la PIPA sont injustifiées et par conséquent que la PIPA est inconstitutionnelle. Le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée et le procureur général de l’Alberta ont affirmé, lors des débats, que s’ils n’obtenaient pas gain de cause, ils préféreraient que la PIPA soit invalidée en entier. Par conséquent, la CSC a déclaré la PIPA invalide, mais a suspendu la déclaration d’invalidité pendant 12 mois afin de donner à la législature albertaine le temps nécessaire pour décider de la meilleure façon de rendre la loi constitutionnelle.
La Loi sur la protection des renseignements personnels de la Colombie-Britannique est très semblable à la PIPA de l’Alberta, les deux provinces ayant travaillé en collaboration lors de la rédaction de leur loi respective; toutefois, à l’heure actuelle, la décision de la CSC s’applique seulement à la PIPA de l’Alberta. À la lumière de cette décision, il est cependant raisonnable de croire que la Colombie-Britannique songera à modifier ou à remplacer sa propre PIPA. La commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique a déjà publié un communiqué dans lequel elle souligne le caractère très similaire des lois albertaine et britanno-colombienne et indique qu’elle sera heureuse de discuter avec le gouvernement de sa province pour trouver un équilibre entre la protection de la vie privée et la liberté d’expression dans le contexte des activités syndicales.
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