Le 11 juillet 2014, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu son jugement dans Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles)1. La décision unanime confirme le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario qui a statué que le Traité no 3 n’oblige pas la province de l’Ontario à obtenir l’approbation du gouvernement fédéral pour développer les terres cédées à la Couronne par les Ojibways2.
En 1873, le Dominion du Canada a conclu le Traité no 3 par lequel les chefs Ojibways cédaient leurs droits relativement à environ 55 000 milles carrés de terres faisant maintenant partie du Nord-Ouest de l’Ontario et de l’Est du Manitoba. Le Dominion du Canada cherchait alors à créer une route sûre afin de promouvoir la colonisation de l’Ouest canadien et de construire le chemin de fer Canadien Pacifique. En contrepartie des terres cédées, la Couronne a accordé aux Ojibways des terres réservées dans la région. Le Traité no 3 a également accordé aux Ojibways des droits de récolte sur des terres traditionnelles situées à l’extérieur de leur réserve, et ce, jusqu’à ce que ces terres soient « prises » par le Dominion du Canada à des fins de colonisation, d’exploitation minière, d’exploitation forestière ou autres3.
En 1997, l’Ontario a délivré à Abitibi‑Consolidated Inc. (devenue depuis PF Résolu Canada Inc.) un permis d’exploitation forestière autorisant la coupe à blanc sur des terres de la Couronne visées par le Traité no 3, dans une région connue sous le nom de Keewatin. Au moment de la conclusion du Traité no 3, la région de Keewatin était sous le contrôle exclusif du Canada. En 1912, la région de Keewatin a été annexée à l’Ontario par la Loi à l’effet d’étendre les frontières de la province de l’Ontario.
En 2005, la Première Nation de Grassy Narrows (les « Grassy Narrows »), dont les membres sont les descendants des Ojibways, a intenté une action en vue de faire annuler le permis au motif qu’il violait les droits de récolte que leur accordait le Traité no 3.
En 2006, un juge chargé de la gestion de l’instance a divisé le procès en deux phases. La première phase a porté sur deux questions préliminaires4:
La deuxième phase du procès impliquera éventuellement une détermination de la demande des Grassy Narrows cherchant à invalider les permis d’exploitation forestière. La seconde phase du procès n’a pas encore commencé.
Le juge de première instance a statué que le Traité no 3 établit un processus en deux étapes pour la prise des terres du traité5. L’Ontario ne pouvait prendre une partie des terres de la région de Keewatin sans obtenir au préalable l’approbation du gouvernement fédéral. En outre, le juge de première instance a conclu que les provinces ne peuvent porter atteinte aux droits issus de traités, même lorsque la justification de l’atteinte pourrait se démontrer, à cause de la doctrine de l’exclusivité des compétences6.
La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé à l’unanimité la décision du tribunal inférieur et confirmé le pouvoir de l’Ontario de prendre des terres sans l’implication du gouvernement du Canada7.
À l’unanimité, la CSC a confirmé la décision de la Cour d’appel de l’Ontario. La CSC a fondé son raisonnement sur les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867, sur le texte du Traité no 3 ainsi que sur la législation relative aux terres du Traité no 3.
La CSC a conclu que le Traité no 3 était fondamentalement un accord avec la « Couronne », un concept qui inclut l’État dans sa globalité (c’est-à-dire fédéral et provincial)8. Elle a rejeté la théorie selon laquelle la Couronne fédérale (plutôt que la Couronne du chef de l’Ontario) était la seule à avoir des obligations et des pouvoirs à l’égard de ce qui fait l’objet du Traité no 3 étant donné qu’elle était seule signataire de ce traité.
Selon la CSC, c’est le partage des pouvoirs énoncé dans la Loi constitutionnelle de 1867 qui détermine quel palier de gouvernement est appelé à exercer les droits de la Couronne prévus au Traité no 39.
Étant donné que la région de Keewatin a été annexée à l’Ontario en 1912, l’article 109 de la Loi constitutionnelle de 1867 établit que l’Ontario détient la propriété effective des terres et des ressources qui s’y trouvent en surface et dans le sous-sol. De plus, le paragraphe 92(5) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère aux provinces une compétence exclusive sur « [l]’administration et la vente des terres publiques appartenant à la province, et des bois et forêts qui s’y trouvent ». Enfin, l’article 92A confère à la province la compétence exclusive pour légiférer sur les ressources naturelles non renouvelables, les ressources forestières et l’énergie électrique. Ces dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 confèrent collectivement à l’Ontario le pouvoir constitutionnel exclusif de prendre des terres provinciales à des fins de réglementation provinciale.
Les Grassy Narrows ont soutenu que le pouvoir du gouvernement fédéral sur les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » prévu au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Canada un rôle résiduel en ce qui concerne la prise des terres visées par le Traité no 3. La CSC a rejeté cet argument. Elle a souligné que même si le paragraphe 91(24) habilite le gouvernement fédéral à adopter des lois relatives aux Indiens et aux terres réservées pour eux mais ayant potentiellement des effets accessoire sur des terres provinciales, cette disposition ne confère pas au Canada le droit de prendre des terres à des fins exclusivement provinciales, telles la colonisation ou l’exploitation forestière ou minière10.
Selon la CSC, tant le texte du Traité no 3 que la législation subséquente relative aux terres du Traité no 3 étayent la conclusion que seul l’Ontario pouvait correctement prendre les terres du Traité no 3. En effet, dans le Traité no 3, il n’est question d’aucun processus en deux étapes impliquant l’approbation fédérale et provinciale. De plus, les lois de réciprocité adoptées suite à la conclusion du Traité no 3 afin de résoudre un différend relatif aux frontières entre le Canada et l’Ontario ou pour étendre les frontières de l’Ontario, ne font pas mention d’un quelconque rôle permanent de surveillance du Canada dans la prise de terres par la province, ou d’un quelconque processus en deux étapes impliquant les deux paliers de gouvernement.
Enfin, la CSC a conclu que le pouvoir de l’Ontario de prendre des terres en vertu du Traité no 3 n’est pas inconditionnel. En se basant sur des décisions antérieures tel que Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien)11, la CSC a réaffirmé que la province doit « […] exercer [son pouvoir] conformément à l’honneur de la Couronne » et qu’elle « est assujettie aux obligations fiduciaires de Sa Majesté à l’égard des intérêts autochtones »12. Ceci requiert que la province de l’Ontario consulte les Premières Nations et, s’il y a lieu, accommode leurs intérêts13.
La Cour a également réitéré ses récents enseignements formulés dans Nation Tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique14 selon lesquels la doctrine de l’exclusivité des compétences n’empêche pas la province de justifier une atteinte à un droit issu d’un traité15. Conséquemment, lorsque la prise de terres porte atteinte à des droits issus de traité, cette atteinte peut être justifiée si le gouvernement provincial se conforme aux exigences de l’analyse des arrêts Sparrow et Badger fondée sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 198216.
Notes:
Le présent article a été rédigé en collaboration avec Dan Collins, stagiaire en droit au bureau de Calgary de Dentons.
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