À la suite du vote favorable du Parlement européen le 15 février dernier, l’Accord économique commercial global (ci-après l'« AECG ») entre l’Union européenne et le Canada pourrait entrer en vigueur dès le mois d’avril 2017 quant aux dispositions pouvant faire l’objet d’une application provisoire. Aux termes de l’article 30.7 de l’AECG, l’entrée en vigueur provisoire peut intervenir dès le mois suivant la ratification par les Parlements européen et canadien. La ratification par le Parlement canadien étant prévue au plus tard au mois de mars 2017, l’AECG devrait donc normalement être provisoirement applicable dès le mois d’avril 2017.
Il importe de savoir que l’AECG a été qualifié de traité « mixte » par la Commission européenne, qui reconnaît ainsi qu'il porte non seulement sur les compétences dites exclusives de l'UE, mais également sur des compétences partagées et propres aux États membres. Par conséquent, sa ratification par les États membres de l'UE est nécessaire, ce qui pourrait prendre plusieurs années et représenter des délais significatifs en ce qui concerne son entrée en vigueur. L'application provisoire de l’accord permet ainsi de réduire les inconvénients inhérents à la lenteur du processus de ratification.
De fait, la décision d'application provisoire d'accords conclus par l'UE n’est pas exceptionnelle, particulièrement en matière commerciale. L'application provisoire permet ainsi de tirer profit des premiers effets bénéfiques d'un accord de libre-échange sans devoir attendre la ratification par les États membres de l'UE. À titre d'exemple, on peut citer le Traité d'association entre l'UE et l'Ukraine1 actuellement appliqué à titre provisoire.
Un principe récurrent dans les traités de libre-échange conclus par l'UE est que le Conseil de l'UE peut décider de l’application provisoire des dispositions qui, en vertu de l'article 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le « TFUE »), relèvent de la compétence exclusive de l'UE, à la différence des compétences dites « partagées » avec les États membres. Dans ce contexte, l'article 3 du TFUE énumère parmi les domaines de compétence exclusive de l'UE « la politique commerciale commune ». Certaines compétences partagées feront quand même l'objet d'une application provisoire à condition notamment que cette application provisoire respecte la répartition des compétences entre l'UE et ses États membres.
Pratiquement, l'UE aura la possibilité de commencer à appliquer provisoirement toutes les dispositions de l'AECG qui relèvent uniquement de sa compétence, ce qui représente plus ou moins 95 % de l’AECG. Tel que précisé, certaines compétences partagées avec les États membres feront également l'objet d'une application provisoire2, notamment :
Dès son entrée en vigueur, l'AECG provoquera la baisse de nombreux droits de douane, soit plus ou moins 98 % des droits de douane de part et d'autre de l’Atlantique, l'élimination de barrières non tarifaires ainsi que l'augmentation des quotas pour certains produits issus de l’agriculture. On citera également le libre accès aux marchés publics respectifs des parties à l'Accord. Il s'agit d’un pan considérable notamment pour l'industrie manufacturière qui permettra une ouverture plus grande des deux marchés.
L'AECG apportera une plus grande sécurité juridique dans l’économie des services, une mobilité accrue pour le personnel des entreprises, de même qu'un cadre global assurant la reconnaissance des qualifications des travailleurs. Ces mesures auront pour effet de stimuler encore davantage le secteur des services qui caractérise déjà l’UE et le Canada. On notera une protection renforcée des brevets des laboratoires pharmaceutiques européens au Canada, ainsi que plusieurs dispositions pour accroître les investissements mutuels dans les services financiers, encourager la concurrence et libéraliser les échanges financiers. En bref, plus ou moins 95 % du texte de l’AECG sera applicable lors de son entrée en vigueur provisoire.
Le chapitre huit de l’AECG, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre notamment en ce qui concerne les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États sur le territoire desquels ils auraient décidé d’investir, n’aura pas à s’appliquer durant la mise en vigueur provisoire3. Pratiquement, tout le processus d’arbitrage investment Court System (ci-après « ICS ») prévu par l’AECG est exclu de l’application provisoire, c’est-à-dire toutes les dispositions organisant la procédure de Règlement des différends entre investisseurs et États (ci‑après « RDIE »). Ce nouveau mécanisme entrera donc en vigueur dès que l’AECG aura été approuvé définitivement par les Parlements des États membres. La Cour de justice de l’UE doit également se prononcer d’ici quelques mois (au plus tôt fin 2017) à la demande de la Belgique sur la compatibilité du mécanisme ICS avec les Traités européens4. Une décision négative pourrait empêcher l’application de ce chapitre crucial de l’AECG, voire, dans le cas le plus extrême, conduire à la réouverture des négociations.
Certaines autres dispositions liées aux services financiers et à la fiscalité ne seront pas concernées par l’application provisoire. Ces dispositions sont exclues de l’application provisoire dans la mesure où elles s’appliquent aux investissements de portefeuille, à la protection des investissements ou au RDIE. En revanche, ces dispositions s’appliqueront déjà de manière provisoire en ce qui concerne l’accès au marché des investissements directs étrangers. Il s’agit notamment d’accroître les seuils de participation que les entreprises européennes peuvent atteindre dans le capital des entreprises canadiennes, les conditions fixées par les Canadiens pouvant être plus ou moins restrictives, à l’inverse de celles mises en place par l’UE. Certaines autres dispositions relativement aux copies illégales d’œuvres cinématographiques ou à la transparence des procédures administratives ne seront pas appliquées durant la phase provisoire.
La règle fondamentale est qu’en cas d’application provisoire du présent accord ou de certaines de ses dispositions, les parties comprennent que l’expression entrée en vigueur du présent accord s’entend de la date de l’application provisoire.
Dès lors, toutes les dispositions qui ne sont pas expressément exclues de l’application provisoire devront normalement entrer en vigueur dès avril 2017 étant donné la règle dite de l’assimilation reprise à l’article 30.7 de l’AECG. À titre d’exemple, les règles conduisant à l’élimination de 97,7 % des lignes tarifaires (tarifs douaniers) de l’UE et de 98,2 % des lignes tarifaires (tarifs douaniers) du Canada devraient entrer en vigueur d’ici deux mois. Il en va de même pour celles applicables aux autres produits qu’il est prévu de libéraliser en voyant leur tarif douanier ramené à zéro dans un délai de 3, 5 ou 7 ans, ces délais devant logiquement commencer à courir à partir du début de l’entrée en vigueur provisoire.
Deux épées de Damoclès pèsent sur cette application provisoire : d’une part, la possibilité pour chaque partie (UE et Canada) de mettre fin « unilatéralement » à l’application provisoire et d’autre part, à moyen terme, l’éventualité d’un échec final des procédures de ratification interne.
Le premier danger vient d’un principe constant en droit des traités selon lequel l’application provisoire d’un traité non encore entré en vigueur est un « acte unilatéral » d’une des parties qui peut décider à tout moment d’y mettre un terme. Dans ce cadre, l’article 30.7 de l’AECG prévoit un délai assez court : après notification par écrit envoyée à l’autre partie, l’application provisoire prend fin le premier jour du deuxième mois suivant cette notification. Il peut paraître peu vraisemblable que les relations se dégradent brutalement entre le Canada et l’UE, mais il reste que la mise en vigueur provisoire résulte actuellement d’engagements unilatéraux pris par des parties qui restent entièrement libres de se retirer du jeu à tout moment. On imagine aisément la complexité des solutions qui devraient être trouvées dans une telle éventualité, par exemple s’il fallait rétablir des tarifs douaniers ou recréer des entraves à la libre circulation des personnes.
Évidemment, le second danger paraît plus évident et préoccupe aussi bien le Canada que l’UE. Le Conseil de l’UE a ainsi évoqué la possibilité que l’AECG ne soit pas ratifié par tous les États membres. Il est permis de relever que, même dans le cas d’une non-ratification par un État membre, cela ne signifierait nullement que l’entrée en vigueur définitive de l’AECG ne pourrait plus être envisagée. Si, par exemple, l’opposition aux dispositions en matière d’investissement et de résolution des différends conduit à l’échec de l’application définitive suite à l’opposition d’un ou de plusieurs parlements nationaux et/ou fédéraux, une nouvelle négociation pourra toujours être menée, d’une part, au sein de l’UE afin d’amender les clauses problématiques, et d’autre part, avec le Canada, puisqu’une telle modification de l’AECG ne relève pas uniquement du droit de l’UE mais aussi du droit international des traités.
Cependant, s’il apparaissait de manière définitive (et, bien entendu, après les dernières négociations entre les institutions européennes et le ou les État(s) récalcitrant(s))5, que l’échec du processus de ratification devait être constaté par le Conseil ou la Commission, l’application provisoire de l’AECG selon l’article 30.7 serait fatalement compromise.
En conclusion, si le scénario catastrophe peut animer notre esprit, les petites et moyennes entreprises peuvent se réjouir de la mise en vigueur provisoire d’un tel accord commercial aux multiples facettes qui contribuera à créer une vraie synergie entre nos deux marchés.
1. Accord d’Association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Voir aussi European External Action, « EU-Ukraine Association Agreement: beginning of provisional application », 1er novembre 2014, http://collections.internetmemory.org/haeu/content/20160313172652/http://eeas.europa.eu/top_stories/2014/011114_ukraine_agreement_en.htm↩
2. Déclarations annexées au Procès-verbal de l’Union européenne – Document UE 13463/1/16 REV 1↩
3.Déclaration du Conseil de l’Union européenne, Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses État membres, d’autre part – Déclarations à inscrire au procès-verbal du Conseil, 27 octobre 2016, Déclaration no 36 de la Commission et du Conseil sur la protection des investissements et la Cour d’investissement (« ICS ») et Déclaration du Royaume de Belgique relative aux conditions de pleins pouvoirs par l’État fédéral et les Entités fédérées pour la signature du CETA, para. B, al. 1.↩
4. Voir Déclaration du Royaume de Belgique relative aux conditions de pleins pouvoirs par l’État fédéral et les Entités fédérées pour la signature du CETA, para. B, al. 2 : « La Belgique demandera un avis à la Cour Européenne de Justice concernant la compatibilité de l’ICS avec les traités européens, notamment à la lumière de l’Avis 1/94.↩
5. Les institutions européennes pourraient être tentées de trouver un compromis avec les Parlements concernés sans exclure la méthode du « deuxième vote » déjà éprouvée en Irlande lors de la ratification du traité de Lisbonne. Après un référendum négatif, le gouvernement irlandais a réexpliqué avec plus de pédagogie les avantages réels du traité qui a été finalement approuvé par un second référendum.↩
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