Un rapport extrêmement exhaustif du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (le « BAPE ») sur la situation de l'amiante et sa réglementation au Québec publié le 7 août 2020 laisse entrevoir des changements importants dans la gestion réglementaire de ce matériau et relance un débat très délicat au sein de la province.
Ce rapport de 300 pages brosse un tableau saisissant de la riche histoire de l'industrie de l'amiante, autrefois florissante au Québec, et des villes minières, autrefois prospères, principalement Thetford Mines et Asbestos, qui ont accueilli cette industrie. Le Québec a déjà été un chef de file mondial de la production d'amiante chrysotile, exportant annuellement des centaines de milliers de tonnes de cet « or blanc » vers quelque 75 pays. Il s'agissait d'un élément important de l'économie québécoise. La dernière mine a cessé ses activités en 2012 et ces régions ont entrepris leur transition, diversifiant leurs économies avec de l'aide fédérale et provinciale. La ville d'Asbestos envisage même de changer son nom.
Cependant, le BAPE souligne également la légèreté avec laquelle les précédentes autorités règlementaires du Québec ont traité la question. Ceci s’est traduit par des normes beaucoup moins sévères qu’ailleurs. Ainsi le seuil de santé et de sécurité au Québec pour les travailleurs exposés aux fibres d'amiante (généralement 1 fibre par cm3) est 10 fois moins strict que le seuil fédéral (0,1 f/cm3) et est 100 fois moins strict que certaines autres juridictions en Europe.
Les experts cités par le BAPE donnent un aperçu des terribles conséquences de cette substance sur la santé humaine. Certaines maladies sont de réelles « bombes à retardement », tels le mésothéliome et d'autres cancers du poumon, qui entraînent une mort certaine chez les personnes atteintes, mais ne se matérialisent que 20 à 40 ans après que les personnes touchées aient inhalé les fibres d'amiante.
Cette sombre réalité est maintenant bien connue et reconnue, internationalement et aux yeux du BAPE. Cependant, l'amiante a été largement utilisé au Québec et à travers le monde, que ce soit dans l'asphalte (enrobés bitumineux amiantés) ou comme isolant thermique ou phonique dans les matériaux de construction.
Un constat s’impose du point de vue de l'immobilier commercial : la grande majorité des bâtiments de bureaux commerciaux construits avant le milieu des années 1980 contiennent de l'amiante, que ce soit pour l'isolation autour des conduits ou dans les murs et les plafonds. Au Québec comme ailleurs, la question de l'amiante est un problème très délicat pour les gouvernements qui cherchent à équilibrer les intérêts économiques et les préoccupations de santé publique, dans la mesure où toute réglementation significative aurait un impact énorme sur pratiquement tous les bâtiments commerciaux.
Dans d'autres juridictions, l'approche consiste à exiger des propriétaires qu'ils tiennent un registre de l'état de l'amiante dans leurs bâtiments, qu'ils effectuent des inspections régulières et qu’ils éliminent l'amiante qui, en raison de sa détérioration ou lors de son contact avec l'air ambiant, risquerait de libérer des fibres. Des règles de sécurité strictes s'appliquent ensuite au processus d'enlèvement de l’amiante, afin de protéger les travailleurs. En outre, les propriétaires ont normalement l'obligation de révéler la présence d'amiante aux locataires et aux entrepreneurs, ainsi que de disposer d'un plan de gestion pour l'amiante.
La question de la gestion et de la responsabilité en matière d'amiante a fait l'objet de régimes de réglementation et de litiges importants au Royaume-Uni. En termes de gestion de l'amiante, le régime réglementaire britannique place la responsabilité des bâtiments commerciaux sur le « duty holder », essentiellement défini comme l'entité ayant le contrôle contractuel des locaux concernés. Le titulaire de cette charge est généralement le propriétaire du bâtiment, mais le concept peut également s'étendre à d'autres entités telles que les sociétés de gestion et les locataires commerciaux à long terme dont les baux imposent la responsabilité de l'entretien des bâtiments. Il s'agit d'une obligation proactive d'identifier l'amiante, d'évaluer son état et de le gérer de manière appropriée. Des sanctions pénales sont prévues en cas de non-conformité.
Au Québec, toutefois, à quelques exceptions mineures près, les autorités réglementaires ont plutôt confié aux employeurs le fardeau de tenir un registre, de mener des inspections et, de façon générale, de protéger les personnes contre les dangers associés à la présence de fibres d'amiante dans leur milieu de travail dans le contexte de la législation sur la santé et la sécurité au travail. Les locataires des immeubles de bureaux sont généralement les employeurs des personnes qui y travaillent. En matière d'immobilier commercial, la responsabilité de la gestion de l'amiante au Québec incombe donc principalement aux locataires et non aux propriétaires.
Les règles du jeu pourraient être sur le point de changer, si le Québec suit les recommandations du BAPE. Selon le BAPE, l’approche actuelle n’est « ni efficiente ni rigoureuse » et il suggère plutôt d'imposer des obligations aux propriétaires de bâtiments. Le Québec semble donc susceptible, dans un avenir rapproché, d'harmoniser son approche réglementaire pour la gestion de l'amiante dans les bâtiments commerciaux avec celle d’autres territoires de compétence.
Les propriétaires de grande envergure possédant des actifs au niveau national ou international auront déjà mis en place des systèmes de gestion avancés pour faire face à la présence d'amiante dans leurs bâtiments. Ce changement potentiel au Québec aurait peu d'impact sur leurs activités. Les acteurs plus régionaux devront cependant suivre de près toute nouvelle réglementation et adapter leurs systèmes, leurs pratiques (et leurs structures de coûts) en conséquence.
Bien que cela puisse sembler contre-intuitif, les propriétaires au Québec et ailleurs pourraient en fait souhaiter que le Québec saisisse cette occasion pour aller encore plus loin, soit au-delà des obligations normalement imposées aux propriétaires de biens commerciaux, afin d’instaurer davantage de certitude quant aux responsabilités des parties.
L'amiante est un problème grave, mais il peut être géré. Pour les propriétaires des bâtiments commerciaux, l'activité de location d'espaces doit continuer, amiante ou pas.
Une récession économique ou un changement dans les besoins d’occupation de locaux par les entreprises découlant de la Covid pourraient déjà avoir un impact négatif sur la demande de location d’espaces de bureaux. Une incertitude persistante quant à la responsabilité des propriétaires de bonne foi en ce qui concerne l'amiante autrement inerte risque de perturber davantage le marché.
En l'absence de règles claires en matière de responsabilité statutaire, une approche dictée par les seules règles du marché en ce qui concerne la responsabilité des propriétaires-locataires quant à l'amiante pourrait, dans le pire des cas, conduire à ce que certaines tours de bureaux deviennent des « actifs délaissés ».
Grâce à la publication de ce rapport du BAPE, le Québec a l'occasion d’approfondir la question de l'amiante et de proposer des changements réglementaires à la fois complets et applicables. En particulier, le Québec pourrait montrer la voie en prescrivant des règles plus détaillées et donc plus facilement applicables en ce qui concerne la gestion de l'amiante actuellement présent dans les bâtiments commerciaux. Une approche constructive pourrait ainsi être fondée sur la conformité à des normes objectives de qualité de l'air, à l'instar du mode de traitement des autres substances nocives sur les lieux de travail. L'équipe de droit immobilier de Dentons suivra de près la situation. Restez à l’affût.
Co-auteurs : Ismaël Bolly, Philippe Couillard, Sarah-Émilie Dubois, Mira Gauvin, Stephen Lloyd, Diana Mazloum, Robert Roth, Chantal Sylvestre et Sam Boileau (Dentons UK)
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