Plusieurs opérations de fusions et acquisitions (F&A) transfrontalières sont actuellement réalisées de façon à permettre aux actionnaires de conserver une partie de leur capital (ce qu’on appelle une « participation par roulement » ou une « participation-relais »). Les opérations comprenant une composante de participation par roulement comportent souvent des défis uniques, notamment des considérations fiscales, des questions d'équité envers les actionnaires qui ne participent pas au « roulement », des exigences réglementaires plus strictes, ainsi qu’un encadrement judiciaire accru aux États-Unis lorsqu’une société cible américaine est concernée. De plus, les tensions commerciales actuelles entre le Canada et les États-Unis peuvent influencer l’intérêt porté à ce type de structure et en complexifier la mise en œuvre. Dans cet article, nous présentons les aspects clés des opérations de F&A transfrontalières, tant de sociétés ouvertes que fermées, comprenant une composante de participation par roulement.
Aux fins du présent article, une opération comprenant une composante de participation par roulement désigne une opération dans le cadre de laquelle un ou plusieurs des actionnaires de la société cible – mais pas tous – acceptent d’échanger la totalité ou une partie des actions de la société cible qu’ils détiennent contre des actions de l'acheteur ou d'une entité qu’il contrôle. Dans un contexte strictement canadien, ce type d’échange d'actions peut généralement être structuré de manière fiscalement neutre. En revanche, lorsqu’il s’inscrit dans une opération transfrontalière, le report d'impôt devient plus complexe et dépend des lois fiscales applicables au Canada et aux États-Unis. La contrepartie qui est versée aux actionnaires « roulants » est souvent composée d’une combinaison d'espèces et d'actions. Quant aux autres actionnaires, ils reçoivent uniquement une contrepartie en espèces et ne conservent aucune participation dans l’entité après la conclusion de l’opération.
Les actionnaires qui acceptent de rouler leur participation sont le plus souvent des membres de la direction que l’acheteur souhaite maintenir en poste afin d’assurer la continuité opérationnelle. Ce scénario est monnaie courante dans les transactions impliquant un fonds de capital d’investissement – ou une société détenue par un tel fonds – qui mise sur la stabilité de l’équipe de direction (ou le maintien en poste de personnes clés) pour assurer le succès futur de l’entreprise. Selon l’étude Partial Rollover Transactions in Canada (en anglais seulement) publiée en 2024 par Morrison Park Advisors, qui portait sur 13 opérations récentes comprenant une composante de participation par roulement, plus de la moitié des acheteurs étaient des fonds de capital d’investissement, dont la grande majorité était basée aux États-Unis.
Bien que la participation par roulement soit souvent associée aux fusions et d'acquisitions de sociétés ouvertes, un tel procédé se voit aussi dans le cadre d’opérations de F&A de sociétés fermées. Au Canada, les roulements réalisés dans le cadre de F&A de sociétés ouvertes sont soumis au Règlement 61-101 – Mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières (Règlement 61-101), alors que les opérations de F&A de sociétés fermées ne font généralement pas l'objet d'une surveillance réglementaire et bénéficient donc d'une plus grande latitude, bien que cela ne les soustrait pas aux enjeux d’équité, qui peuvent s’avérer d’autant plus sensibles et nécessiter une vigilance accrue de la part des conseils d’administration, notamment dans l’exercice de leurs obligations fiduciaires. En ce qui concerne les sociétés cibles américaines, les tribunaux américains peuvent être appelés à examiner si l’opération a été équitable et si le prix obtenu est juste.
La première question que les parties à une opération doivent se poser est la suivante : souhaitent-elles (ou sont-elles prêtes à) mettre en place une composante de participation par roulement?
Le roulement présente plusieurs avantages stratégiques pour l’acheteur : (i) les membres de la direction conservent une participation dans l’entité, (ii) le besoin en capitaux propres ou en capitaux d’emprunt est réduit et (iii) sans la composante de participation par roulement, l’opération n’aurait pas pu être réalisée. Toutefois, en contrepartie, l’acheteur doit composer avec la présence continue d’actionnaires minoritaires (et les protections qui leur sont généralement accordées), ce qui limite son contrôle exclusif sur l’entité après la clôture et peut entraîner une dilution économique.
Pour la société cible, l’un des avantages est la possibilité de conclure une entente qui n’aurait peut-être pas eu lieu autrement. Cependant, cette approche soulève des enjeux d’équité, puisque seul un groupe restreint d’actionnaires se voit offrir la possibilité de rouler ses actions, ce qui peut leur conférer un plus grand pouvoir de négociation. Cette disparité de traitement peut attirer l’attention des autorités réglementaires ou judiciaires, notamment en ce qui concerne l’évaluation par le conseil d’administration de ses obligations fiduciaires.
Pour les actionnaires qui détiennent une participation par roulement, cela signifie accepter une contrepartie initiale en espèces réduite, en échange du maintien d’une participation dans l’entité, avec ce que cela comporte d’avantages et de risques. Par ailleurs, les actions reçues en vertu de la composante de participation par roulement peuvent être assujetties à des conditions supplémentaires imposées par l’acheteur qui n’existaient pas auparavant. La volonté de participer à un roulement, ainsi que le montant que chaque actionnaire roulant est prêt à investir, dépendra de plusieurs facteurs, notamment la perception du potentiel de croissance de l’entreprise issue de la fusion, ainsi que sa situation financière personnelle (un actionnaire disposant d'un patrimoine important n’étant pas lié à la société cible sera peut-être prêt à conserver une participation plus importante dans la nouvelle entité). Enfin, dans un contexte transfrontalier, la mise en place d’une composante de participation par roulement avec report d’impôt devient considérablement plus complexe. La tolérance des parties à cette complexité — tant sur le plan juridique que fiscal — variera en fonction de leur situation particulière.
Le régime applicable aux opérations comprenant une composante de participation par roulement au Québec présente quelques spécificités notables. Sur le plan fiscal, ces opérations sont régies de manière distincte par les dispositions de la loi fiscale québécoise. Pour bénéficier de ce régime, les parties à l’opération doivent remplir le formulaire prescrit par Revenu Québec, en plus de celui requis par l'Agence du revenu du Canada. Les conditions d'assujettissement à l'impôt sur le revenu du Québec doivent également être prises en compte lors de la planification de ce type d’opération. Les particularités du droit civil québécois, ainsi que les aspects réglementaires dans les domaines du droit de l'emploi, de la protection des renseignements personnels et de la langue française, pour ne nommer que ceux-là, doivent être considérés lors de la mise en œuvre d'une opération comprenant une composante de participation par roulement, tout comme pour toute autre opération d’entreprise. Les exigences québécoises en matière de transparence des entreprises, incarnées par le registre des entreprises du Québec, peuvent également influencer les décisions relatives à la structuration de l’opération comprenant une composante de participation par roulement.
Plusieurs facteurs ont contribué à la hausse des opérations comprenant une composante de participation par roulement impliquant des sociétés cibles canadiennes au cours des dernières années, en particulier dans un contexte transfrontalier :
Malgré les mécanismes de protection prévus par le Règlement 61-101, la jurisprudence pertinente et les pratiques du marché, certains actionnaires de sociétés cibles et acteurs du marché canadiens perçoivent les opérations comprenant une composante de participation par roulement comme étant potentiellement inéquitables. Ainsi, même si l’offre en espèces proposée par l'acheteur est jugée raisonnable, des actionnaires non roulants peuvent considérer que les actionnaires bénéficient d’un « bon coup » - c'est-à-dire que la valeur implicite de la composante de participation par roulement est supérieure à celle de la contrepartie en espèces - ce qui peut susciter leur insatisfaction. Cette perception d’iniquité soulève deux questions fondamentales : (i) la valeur reçue par les actionnaires qui bénéficient de la composante de participation par roulement est-elle pertinente dans l’évaluation de l’équité de l’opération ou les actionnaires qui ne bénéficient pas de la composante de roulement doivent-ils uniquement se prononcer en fonction de ce qu’ils reçoivent eux-mêmes? (ii) dans l’hypothèse où la valeur de ce que les actionnaires qui bénéficient de la composante de participation par roulement reçoivent est jugée pertinente, l’information communiquée est-elle suffisante pour permettre aux actionnaires non roulants de l’évaluer adéquatement?
Pour plusieurs actionnaires non roulants, la réponse à la première question est claire : oui, la valeur de la composante de participation par roulement est importante. Le simple droit de vote des actionnaires minoritaires ne suffit pas lorsqu’ils estiment que l’opération leur retire la possibilité de participer à une structure potentiellement plus avantageuse. D’ailleurs, selon une étude récente, près d’un quart des opérations analysées ont fait l’objet d’une contestation formelle de la part d’un ou de plusieurs actionnaires.
En ce qui concerne la deuxième question, les sociétés ouvertes sont tenues de transmettre aux actionnaires des circulaires d’information complètes et ne comportant pas d’énoncés faux ou trompeurs — ce qui inclut l’omission de faits importants. Or, dans la pratique, les descriptions des composantes de roulement dans ces documents sont souvent sommaires. Il n’est pas rare que les circulaires se limitent à une ou deux phrases indiquant simplement qu’une composante de participation par roulement a été conclue, que la valeur de la contrepartie offerte aux actionnaires roulants n’excède pas celle versée aux autres actionnaires, et que la seule différence réside dans la forme de la contrepartie. Ces documents fournissent rarement une description élaborée de l’entité combinée ou une évaluation de la valeur future des titres reçus par les actionnaires roulants. Bien que cette pratique semble conforme aux normes actuelles de divulgation, certains actionnaires continuent de considérer ces informations comme insuffisantes pour évaluer pleinement l’opération à laquelle ils sont appelés à consentir.
Enfin, comme cela a été mentionné précédemment, lorsqu’il s’agit de sociétés cibles américaines, les opérations comprenant une composante de participation par roulement peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire aux États-Unis, notamment afin d’évaluer si l’opération a été conduite dans le cadre d’un processus équitable et s’est conclue à un prix juste.
Les opérations transfrontalières, en particulier celles impliquant des acheteurs américains et des sociétés cibles canadiennes, soulèvent plusieurs enjeux supplémentaires. Voici les principaux éléments à prendre en compte :
Les tensions commerciales entre les États-Unis et le Canada, qu’il s’agisse des droits de douane ou des différends réglementaires, peuvent avoir une incidence importante sur les opérations transfrontalières, notamment celles comprenant une composante de participation par roulement. Ces tensions soulèvent plusieurs enjeux pour les parties prenantes, dont les suivants :
Malgré le contexte économique et commercial actuel, on prévoit la poursuite des opérations transfrontalières comportant une participation par roulement. La structuration de telles opérations exige une évaluation rigoureuse des enjeux fiscaux, boursiers, commerciaux et de gouvernance, en particulier lorsque l’acheteur est américain et qu’il acquière une société canadienne. Les tensions commerciales persistantes entre les États-Unis et le Canada ajoutent une couche de complexité, dont il faut tenir compte dans la planification des opérations. Les entreprises, les actionnaires et leurs conseillers doivent demeurer vigilants, en veillant à trouver un équilibre entre équité, conformité réglementaire et objectifs d’affaires dans un environnement de plus en plus instable.
Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec les auteurs, Jason Saltzman et Thomas H. Redekopp. Nos deux collègues ne parlent qu’anglais. Si vous souhaitez discuter avec quelqu’un en français, communiquez avec Thomas Doré ou Richard Gauthier, qui ont participé à la rédaction de la section sur les spécificités québécoises, ou avec un membre du groupe Fusions et acquisitions de notre bureau de Montréal.
Nous vous invitons également à consulter notre centre de ressources Transformer le changement en possibilité | composer avec un environnement commercial en constante évolution, ainsi que notre série Border Talks (en anglais seulement).
Les courriels non sollicités et les autres renseignements envoyés à Dentons ne seront pas considérés comme confidentiels, pourraient être communiqués à des tiers ou ne pas obtenir de réponse et ne créent pas de relation avocat client. Si vous n’êtes pas un client de Dentons, vous ne devriez pas nous envoyer de renseignements confidentiels.
Ce contenu est disponible en anglais seulement. S'il vous plaît cliquer sur Continuer ci-dessous pour lire cela en anglais.
Vous quittez maintenant le site Web de Dentons. Vous serez redirigé vers le site Web de $redirectingsite en anglais. Pour continuer, cliquez sur « Continuer ».
Vous quittez maintenant le site Web de Dentons. Vous serez redirigé vers le site Web de Beijing Dacheng Law Offices, LLP. Pour continuer, cliquez sur « Continuer ».