À la fin du premier trimestre 2025, le marché des opérations transfrontalières de capital-investissement entre le Canada et les États-Unis demeure à la fois dynamique et marqué par une complexité persistante. Malgré des vents économiques contraires, une situation tarifaire en évolution constante et des défis réglementaires et géopolitiques qui perdurent, les sociétés de capital-investissement canadiennes et américaines démontrent une capacité d'adaptation remarquable. Dans cet article, nous faisons le point sur l’état actuel de l’activité transfrontalière de capital-investissement entre les deux pays et en examinons les perspectives, à la lumière des tendances récentes, des dynamiques sectorielles, des pratiques de structuration des opérations et des observations issues de la conférence DealMAX, événement incontournable dans le domaine des fusions et acquisitions sur le marché intermédiaire organisé par l’Association for Corporate Growth (ACG).
Les années 2022 et 2023 ont été marquées par un net ralentissement des opérations transfrontalières de capital-investissement, en raison d’un enchaînement de facteurs macroéconomiques et réglementaires défavorables. L’inflation, l’augmentation des coûts d’emprunt, le resserrement du crédit et les incertitudes géopolitiques ont lourdement pesé sur le nombre d’opérations réalisées et les valorisations, notamment dans les secteurs technologiques et les secteurs hautement réglementés. Le troisième trimestre de 2023 s’est d’ailleurs soldé par le plus faible nombre d’annonces d’opérations de capital-investissement à l’échelle mondiale depuis le quatrième trimestre de 2015.
Une enquête menée par Dentons (en anglais seulement) à la fin de 2023 auprès de 150 gestionnaires de fonds de capital-investissement actifs à l’échelle mondiale a permis de tirer plusieurs enseignements de cette période turbulente. Les résultats révèlent les difficultés rencontrées par les acteurs du marché en matière d’exécution dans un contexte de complexité croissante et de liquidité réduite. En particulier, 68 % des répondants ont indiqué qu’ils auraient dû accorder davantage d’attention à la vérification diligente, tandis que 70 % ont reconnu avoir sous-estimé les besoins liés au processus d’intégration après la conclusion d’une opération. Par ailleurs, 55 % des répondants américains et internationaux, contre 30 % des répondants canadiens, ont souligné qu’un recours accru à des conseillers externes spécialisés dans le secteur ou le marché cible aurait amélioré l’issue de leur dernière opération.
Malgré ce contexte, les perspectives demeurent optimistes. Selon l’enquête de Dentons, 78 % des gestionnaires sondés prévoyaient réaliser entre une et trois opérations transfrontalières en 2024, tandis que 16 % anticipaient entre quatre et six opérations. Près de la moitié des répondants tablaient sur une augmentation de la taille et de la valorisation des opérations. Cette confiance s’est traduite, dans la seconde moitié de 2024, par un redémarrage progressif du marché, soutenu par l’assouplissement des taux d’intérêt et des conditions de financement plus favorables. Dans cet environnement en voie de stabilisation — mais toujours sélectif —, de nombreuses sociétés de capital-investissement ont réorienté leurs stratégies vers des acquisitions complémentaires et des initiatives de croissance sectorielle ciblée.
Depuis la clôture de l’enquête de Dentons, la dynamique du marché n’a cessé de s’intensifier, avec une nette accélération de l’activité transactionnelle en ce début d’année 2025. Tant le nombre que la valeur des opérations de capital-investissement connaissent une croissance soutenue à l’échelle nord-américaine. Selon le rapport Q1 2025 U.S. PE Breakdown de PitchBook (en anglais seulement), la valeur des opérations de capital-investissement aux États-Unis a bondi de 24,6 % par rapport au trimestre précédent et de 36,1 % sur une base annuelle, stimulée par un regain d’intérêt pour les prises de contrôle classiques (buyouts) et les acquisitions d’activités complémentaires. Les sociétés canadiennes de capital-investissement demeurent elles aussi particulièrement actives, en concentrant leurs efforts sur des cibles américaines dans des secteurs stratégiques tels que l’énergie, les technologies et les services professionnels.
Ce regain d’activité transfrontalière s’explique par un certain nombre d’impératifs stratégiques : renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement, recruter une main-d’œuvre qualifiée et accélérer la croissance axée sur la propriété intellectuelle. Dans cette même veine, le rapport CEO Outlook 2025 d’EY (en anglais seulement) indique que 56 % des chefs d’entreprise à l’échelle mondiale envisagent de procéder à des fusions et acquisitions au cours des 12 prochains mois, et que 60 % d’entre eux anticipent une légère hausse du nombre de méga-opérations (d’une valeur supérieure à 10 milliards $ US). De son côté, le rapport sur le capital-investissement au Canada en 2025 de BDO prévoit une intensification des stratégies de croissance par l’acquisition de nouvelles plateformes et le déploiement de capitaux dans des activités complémentaires.
Plusieurs moteurs structurels façonnent les stratégies d’investissement :
La technologie demeure le secteur le plus prisé pour les investissements transfrontaliers en capital-investissement, en raison de la riche propriété intellectuelle qu’elle recèle et de la stabilité que procurent ses modèles à revenus récurrents. Le secteur de la santé, notamment les pharmacies spécialisées, attire également une attention croissante. Selon le rapport US PE Breakdown (en anglais seulement) de PitchBook, les sociétés de capital-investissement canadiennes concentrent leurs activités dans les secteurs de l’énergie, des ressources naturelles (mines) et des services publics, tandis que les sociétés de capital-investissement américaines demeurent en tête dans l’ensemble des secteurs.
Les opérations de cession d’actifs non stratégiques par de grandes entreprises (carve-out) connaissent par ailleurs un regain d’intérêt. Selon le rapport Private Equity 2024 Year-In-Review and 2025 Industry Outlook (en anglais seulement) publié par Cherry Bekaert, ces opérations ont représenté 11,8 % de l’ensemble des rachats de capital-investissement aux États-Unis au quatrième trimestre de 2024, enregistrant une progression trimestrielle notable. Le marché intermédiaire, quant à lui, continue d’offrir des points d’entrée intéressants, tant sur le plan des valorisations que des leviers d’optimisation opérationnelle.
Enfin, plusieurs opérations transfrontalières de grande envergure ont été conclues avec succès malgré les tensions commerciales, illustrant que les possibilités demeurent bien réelles pour les acteurs disposant de la vision stratégique et des ressources nécessaires pour naviguer dans un environnement complexe (source : PitchBook).
Malgré une reprise progressive de l’activité transactionnelle, les opérations transfrontalières en capital-investissement demeurent confrontées à un éventail de risques réglementaires et économiques. Les entreprises canadiennes et américaines doivent composer avec des tensions commerciales persistantes, des régimes tarifaires et des cadres juridiques et réglementaires en constante évolution des deux côtés de la frontière. En réponse, les acteurs du marché ont recours à divers outils tactiques, structures et expertises afin de réduire les risques liés à l’exécution des opérations et de préserver la valeur de celles-ci.
À mesure que l’année 2025 progresse, le marché canado-américain du capital-investissement amorce une phase de stabilisation. Un nouvel équilibre semble émerger, marqué par le retour des méga-acquisitions et une reprise soutenue de l’activité sur le marché intermédiaire.
Voici quelques tendances stratégiques à surveiller de près :
Les opérations transfrontalières impliquant des sociétés québécoises exigent une adaptation aux réalités locales. Le Québec, étant la seule province canadienne régie par un régime de droit civil en matière commerciale, présente donc des spécificités qui vont influencer plusieurs aspects d’une opération, notamment quant à la rédaction et à l’interprétation de contrats commerciaux, aux mécanismes de gouvernance et à la prise de sûretés contractuelle.
Le marché québécois a une proportion importante d’entreprises privées détenues ou dirigées par leurs fondateurs et leurs familles. Ceci affecte la vision de telles entreprises, qui vont notamment privilégier une vision de croissance à long terme et des relations de confiance durables avec tout investisseur potentiel.
Le paysage du capital-investissement au Québec se distingue aussi par la présence active d’investisseurs institutionnels locaux, tels que la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Investissement Québec, le Fonds de solidarité FTQ ou encore Desjardins Capital. Ces acteurs stratégiques, qui favorisent les investissements responsables ou durables, prennent généralement des positions minoritaires tout en jouant un rôle actif auprès de leurs cibles, notamment en imposant des exigences spécifiques en matière de gouvernance, de rendement ou encore quant au maintien d’établissements au Québec. Leur participation offre une valeur ajoutée, mais exige un alignement préalable des objectifs et une coordination étroite.
S’ajoutent également des contraintes réglementaires spécifiques qui complexifient le volet opération de toute société faisant affaire au Québec. La Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (Loi 96) impose un encadrement linguistique renforcé, notamment quant à la rédaction en français des contrats d’adhésion, communications internes, documents de travail et échanges avec les employés. De plus, la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (Loi 25) impose des obligations strictes en matière de gouvernance des données, notamment la désignation d’un responsable de la protection des renseignements personnels, la tenue de registres de confidentialité, et la réalisation d’évaluation de facteurs relatifs à la vie privée.
Enfin, certaines opérations peuvent également soulever des enjeux politiques ou des sensibilités culturelles locales lorsqu’elles touchent à des sujets comme l’emploi ou la langue ou à des secteurs sensibles pour la société québécoise, notamment les secteurs de la culture, de l’énergie, de l’environnement, de l’éducation ou de la santé.
Dans ce contexte en mutation, les entreprises qui tireront le meilleur rendement de leur capital investi seront celles capables de conjuguer rigueur analytique, agilité stratégique et innovation. La réussite d’une opération transfrontalière ne repose plus uniquement sur l’accès au capital, mais sur la capacité à structurer les opérations, à anticiper les risques et à saisir les occasions avec discernement.
Pour obtenir de plus amples renseignements au sujet de ce qui précède, veuillez communiquer avec les auteurs, Leanne C. Krawchuk et Jason M. Stone (les deux auteurs ne parlent qu’anglais), avec David Gravel ou Marianne Khairi-Arancibia, qui ont rédigé la section sur les spécificités québécoises, ou avec un membre de notre équipe spécialisée dans les fusions et acquisitions.
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