Dans le cadre de la conclusion et de l’exécution de marchés privés de travaux, face à l’épidémie de COVID-19, la qualification de cet événement comme cas de force majeure pose difficulté, tout comme la réelle impossibilité du cocontractant de s’exécuter, face à cet événement.
Au-delà de l’aléa qui pèsera sur la qualification judiciaire, de force majeure ou pas, les parties pourraient être amenées à ériger en cause légitime de retard cet événement lié à l’épidémie de COVID-19. Néanmoins, la difficulté rédactionnelle liée aux modalités de justifications de l’empêchement du débiteur demeure et les parties ne pourront vraisemblablement pas recourir à l’exception d’inexécution pour tenter de se soustraire à leurs obligations, le temps de la suspension du contrat.
Irrésistibilité, imprévisibilité et extériorité : tels sont les critères cumulatifs exigés en matière contractuelle, tant par les dispositions de l’article 1218 du Code civil (nouveau et anciennement article 1148 du Code civil) que par la jurisprudence, dont l’appréciation souveraine est purement et simplement laissée aux juges du fond.
La notion d’extériorité tout d’abord, a été progressivement nuancée par la jurisprudence et plus récemment par les nouvelles dispositions du Code civil. L’imprévisibilité ensuite, appréciée de manière circonstancielle au moment de la conclusion du contrat. L’irrésistibilité enfin, au regard de l’exécution du contrat ou en d’autres termes l’événement dont le débiteur ne peut en éviter les effets par des mesures appropriées et raisonnables, qui est appréciée in abstracto pour se référer à un événement « normalement » irrésistible, tout en étant subjectivée au regard du contrat en cause et des parties. L’événement doit être insurmontable pour son débiteur, il doit y avoir impossibilité d’exécution.
Au regard du COVID-19, l’on comprend rapidement que si le critère d’extériorité ne pose pas de difficulté puisque l’événement ne peut être imputable au fait personnel du débiteur, il en va différemment de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité.
L’imprévisibilité sera relativement facile à appréhender de manière factuelle puisqu’il convient de se placer au moment de la formation du contrat, qu’il s’agisse de la conclusion de l’acte lui-même ou d’un commencement d’exécution ; si l’épidémie préexistait, ce critère ne pourra être satisfait. C’est ainsi que le caractère imprévisible a été exclu dans « le cas de l'épidémie de grippe H1N1 qui a été largement annoncée et prévue, avant même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire (…). » (Cour d’appel de Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/02291). Une analyse analogue a été retenue concernant une épidémie de Dengue survenue au cours de l’année 2007, puisqu’à cette date, il ne s’agissait pas d’un phénomène nouveau, pour présenter « un caractère récurrent notamment dans les Antilles françaises » (Cour d’appel de NANCY, 22 novembre 2010, n° 09/00003).
Ainsi, afin de déterminer si le critère d’imprévisibilité est satisfait, la date de formation du contrat sera déterminante. La difficulté demeurera toutefois entière aux fins de déterminer le moment précis à partir duquel on peut considérer que les premières informations relatives au COVID-19 étaient suffisantes pour pouvoir être appréhendées au moment de la formation du contrat. En l’espèce, les premières informations relatives au virus ont concerné la Chine à la fin de l’année 2019 / début de l’année 2020, mais les répercussions en France ont été plus tardives pour avoir débuté par un arrêté du 4 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus COVID-19. Il importe de souligner que l’OMS a déclaré que le COVID-19 constituait une urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier 2020. Pour tous les marchés privés de travaux conclus au cours des mois de janvier et février 2020, la difficulté risque de demeurer entière et la preuve du caractère imprévisible, difficile à rapporter.
Concernant l’irrésistibilité enfin, il s’agit vraisemblablement du caractère le plus difficile à appréhender car il nécessite une appréciation pour partie subjective, au moment de l’événement. Dans un récent arrêt il a ainsi été considéré que « S'agissant de la présence du virus chikungunya, en dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue…) et de sa prévalence dans l'arc antillais et singulièrement sur l'île de Saint Barthélémy courant 2013-2014, cet événement ne comporte pas les caractères de la force majeure au sens des dispositions de l’article 1148 du code civil. En effet, cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les intimés n'ayant pas fait état d'une fragilité médicale particulière) et que l'hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période » (Cour d’appel de Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17/00739). Dans le cas du COVID-19 et par analogie, ce serait donc le fait que cette épidémie revête un caractère létal, pour lequel il n’existe à l’heure actuelle pas de vaccin ni de traitement curatif, qui permettrait de conclure à son irrésistibilité.
Pour l’heure, le caractère de force majeure du COVID-19 semble pouvoir être retenu, dans le cadre de marchés privés de travaux, dès lors que leur conclusion ou commencement d’exécution est suffisamment antérieur au début de l’épidémie et sous la réserve encore que l’empêchement du débiteur soit clairement démontré et ait un lien direct avec cet événement. Tel sera notamment le cas si la partie concernée est elle-même atteinte par le virus. Néanmoins, en matière de construction, sauf à ce qu’une configuration très particulière des lieux et leur exiguïté par exemple l’empêche, rien à ce jour ne semble pouvoir justifier, en l’absence de personne infectée, un arrêt de chantier. En effet, le débiteur de l’obligation n’a pas l’impossibilité de s’exécuter dès lors qu’il peut prendre toutes les mesures nécessaires mises en œuvre pour éviter la propagation et la transmission du COVID-19.
En tout état de cause et dans l’éventualité où le caractère de force majeure du COVID-19 serait applicable, l’empêchement, appliqué aux marchés privés de travaux, ne sera a priori - et espérons-le (!) - que temporaire, de sorte que l’événement n’aura qu’un effet suspensif « à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». Ainsi, l’événement de force majeure jouera de manière provisoire et le débiteur, valablement empêché, ne pourra voir sa responsabilité engagée. Le créancier ne pourra pas non plus se prévaloir des sanctions édictées par les articles 1217 et suivants du Code civil, parmi lesquelles l’exception d’inexécution. Néanmoins, au terme de l’empêchement, les travaux alors suspendus par l’entreprise contractante devront être repris.
L’appréciation factuelle de la force majeure sera peut-être confrontée, dans les semaines à venir, à une décision prise par une personne détentrice de l’autorité publique, permettant, ipso facto, d’assimiler le COVID-19, dans certaines situations précisément énumérées, à un cas de force majeure, il s’agirait alors du « fait du prince ». Il importe de souligner que cette notion, appliquée aux contrats privés est une cause d’exonération de responsabilité alors qu’en droit public, la mesure prise par l’autorité publique, partie contractante, est une cause d’indemnisation.
A l’heure actuelle, cette cause d’exonération de responsabilité a déjà été mise en œuvre dans plusieurs domaines, du fait de fermetures contraintes de certains magasins comme de l’interdiction de rassemblements par exemple. Contrairement aux marchés publics de l’Etat et des collectivités locales pour lesquels les pénalités de retard ne seront pas appliquées, à ce jour, les marchés privés de travaux ne sont pas concernés, bien que le « gouvernement invite les donneurs d’ordre et entreprises à ne pas rechercher la responsabilité contractuelle des entreprises, de leurs sous-traitants ou fournisseurs qui, lorsque les conditions d’exécution ne permettaient plus de garantir la santé et la sécurité de leurs salariés, ont dû suspendre leur activité (Communiqué de presse n° 2086 du 21 mars 2020).
Face à la difficulté de qualification du COVID-19 comme événement de force majeure – ou pas -, les parties, dans le cadre de la conclusion d’un marché privé de travaux, pourraient alors décider contractuellement de considérer le COVID-19 comme cause légitime de retard. A l’instar des événements liés aux grèves ou aux intempéries par exemple, les entreprises auront manifestement le plus grand intérêt à contractualiser cet événement et ainsi échapper à l’appréciation souveraine des juges du fond quant à une possible qualification ou exclusion de la force majeure. Il est relativement fréquent, au sein de marchés de travaux, de trouver parmi les causes légitimes de retard celle relative aux difficultés d’approvisionnement du chantier en matériel et matériaux. Une telle clause permettra, si l’entreprise est concernée, d’éviter des pénalités de retard.
Un tel événement, érigé en cause légitime de retard, évitera ainsi toute interrogation quant à l’existence de l’événement lui-même ou à l’époque de son apparition. Néanmoins, qu’il s’agisse de l’entreprise de construction, comme du maitre d’ouvrage, il sera difficile de définir les contours de la preuve du caractère irrésistible de cet événement.
Autrement dit, par quels moyens les parties vont-elles pouvoir rendre objective la justification qui sera apportée par le débiteur de l’obligation, de son empêchement ? La difficulté est grande. Si les parties ont contractuellement assimilé des retards de livraison liés au COVID-19 à une cause légitime de retard, comment le maitre d’ouvrage pourrait-il se satisfaire d’une simple attestation de son entreprise contractante, dont le caractère sera purement subjectif et les termes vraisemblablement invérifiables ? De la même manière, qu’en serait-il du défaut de main d’œuvre ? La maladie d’un ou plusieurs salariés de l’entreprise de construction serait sans nul doute légitime, comme la contrainte d’une décision émanant d’une personne détentrice de l’autorité publique, mais quelle appréciation donner à des difficultés d’accès au site ?
Chaque situation devra s’apprécier au cas par cas, en gardant à l’esprit que les parties se doivent de négocier et de contracter de bonne foi. On ne peut que vivement recommander aux parties de stipuler le plus précisément et le plus objectivement possible les modalités de justification de l’empêchement auquel le débiteur est susceptible d’être confronté.
Dans le cas de marchés privés de travaux, il apparaît peu probable qu’une partie, au regard de l’empêchement légitime de son cocontractant puisse invoquer les dispositions de l’article 1220 du Code civil (et applicable aux seuls contrats conclus depuis le 1er octobre 2016), sauf à ce que le contrat n’ait pas encore reçu de commencement d’exécution au moment de l’événement invoqué.
En tout état de cause, il importe de garder à l’esprit l’idée que l’exception d’inexécution, même à supposer qu’elle puisse être invoquée en application des dispositions de l’article 1219 du Code civil, ne peut l’être a priori qu’en présence d’une inexécution contractuelle fautive : tel ne semble pas pouvoir être le cas d’une suspension du contrat du fait d’un événement de force majeure justifié et qui donc n’est pas, intrinsèquement fautif.
En revanche, la suspension légitime du contrat pour un fait de force majeure porte atteinte à la réciprocité des obligations découlant du contrat. Dès lors, on peut s’interroger sur l’application de la théorie des risques (res perit debitori) qui pourrait permettre au créancier de l’obligation inexécutée pour cas de force majeure, de lui-même suspendre l’exécution de sa propre obligation.
Les effets du COVID-19 sur les marchés privés de travaux sont loin d’être faciles à appréhender. En l’état des décisions gouvernementales, même s’il est possible que les juridictions soient amenées à le considérer comme un cas de force majeure et ce sous réserve qu’à la date de commencement d’exécution du contrat son caractère imprévisible ne soit pas contestable, il est probable que l’empêchement du débiteur ne soit pas suffisant à véritablement permettre une suspension du contrat.
Nul doute que les rédacteurs d’actes seront désormais amenés à appréhender, contractuellement, ce nouvel événement, alternativement en cause légitime de retard ou comme exclusion d’événement de force majeure.
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