L’Assemblée nationale a adopté, en première lecture du projet de loi de finances pour 2021, un amendement déposé par le Gouvernement et conduisant à la réduction « rétroactive »1 du tarif d’achat de l’électricité pour certaines installations, de telle sorte que la rémunération des capitaux n’excède pas un niveau « raisonnable ». Le Ministère en charge de l’énergie « table (…) sur une économie d’environ 350 à 400 millions d’euros par an, soit environ 4 milliards sur dix ans, qui seront réinjectés sous forme d’aides aux énergies renouvelables ».
Les installations concernées. Il s’agit des installations :
D’après le Ministère en charge de l’énergie, moins de 800 contrats sur les 235 000 contrats d’achat d’électricité d’origine solaire qui ont été conclus seraient concernés. Concrètement, si elle était adoptée, cette mesure pourrait impacter les parcs solaires de moyenne à grande taille mis en service entre 2007-2008 et 2011-2012.
L’ampleur de la réduction. Selon le Ministère en charge de l’énergie, le tarif d’achat dont les producteurs concernés bénéficieraient actuellement serait « de l’ordre de 600 €/MWh ». Le niveau de la réduction tarifaire n’est pas encore connu. Le projet de loi évoque l’idée d’un plafond pour le tarif d’achat : celui d’une « rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à [ l’exploitation] ». Il précise que le niveau de la réduction sera déterminé par un arrêté du Ministère en charge de l’énergie, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie, et dépendra « de l’arrêté tarifaire au titre duquel le contrat est conclu, des caractéristiques techniques de l’installation, de sa localisation, de sa date de mise en service et de ses conditions de fonctionnement ».
Pas de remboursement des aides déjà perçues. La mesure projetée est « rétroactive », puisqu’elle s’applique à des contrats déjà conclus. A compter d’une date future, qui sera fixée par le Ministre en charge de l’énergie, le tarif d’achat sera réduit pour la durée du contrat restant à courir (c’est-à-dire en général près de 10 ans, s’agissant de contrats conclus en 2010 pour une durée de 20 ans).
Toutefois, cet amendement n’implique pas le remboursement des aides déjà perçues par les producteurs.
On peut s’étonner de ce que Mme Pompili, pour défendre l’amendement, se soit notamment fondée sur le fait que « les contrats [d’achat] visés sont illégaux au regard du droit européen puisqu’ils n’ont pas été validés par la Commission européenne au titre des aides d’État » : si tel est le cas, l’amendement ne remédie en rien à l’illégalité ici décrite. L’Etat français est tenu de notifier l’aide à la Commission, et cet amendement n’y change rien.
Clause de sauvegarde pour les producteurs en difficulté. S’agissant des producteurs pour lesquels la réforme est de nature à « compromettre la viabilité économique », une date ou un niveau de tarif différent, ainsi que l’allongement de la durée du contrat, pourront être définis. L’article 54 sexies du projet de loi de finances pour 2021 contient en effet un alinéa 2, présenté comme une « clause de sauvegarde ». Celle-ci concernera en premier lieu les zones non interconnectées (ZNIs). Son application devra être demandée par le producteur, sur le fondement d’une demande motivée.
En revanche, pour éviter tout contournement de la réforme, l’article prévoit pour l’instant que « les producteurs ayant procédé à des évolutions dans la structure de leur capital ou dans leurs modalités de financement après le 7 novembre 2020, à l’exception des mesures de redressement et de soutien susmentionnées », ne pourront pas se prévaloir de cette clause de sauvegarde.
Le texte ayant été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, il doit encore être voté par le Sénat.
Or, la commission des Finances du Sénat a adopté un amendement de suppression le 18 novembre. Le texte fera l’objet de discussions en séance publique à la fin du mois.
Cette idée d’une loi réduisant « rétroactivement » des tarifs, s’inscrit dans un mouvement constant ces dernières années : la tentative d’alléger le tarif d’achat des premiers contrats d’achat d’électricité, qui est particulièrement élevé. Il faut néanmoins se rappeler que ce tarif a été fixé pendant une période au cours de laquelle le coût des panneaux solaires était fort élevé et un tarif d’achat important était nécessaire pour rendre rentables les investissements demandés par l’Etat.
En 2018, la loi « ESSOC »2 avait conduit à la réduction du tarif d’achat pour les installations de production d'énergie renouvelable en mer, qui était alors passé de 180 - 230 à 130 - 150 €/ MWh environ.
Il s’agissait à l’époque d’une atteinte aux droits acquis résultant d’une décision administrative (en cas de refus de la part du candidat d’« améliorer son offre », la décision de le désigner lauréat, et donc son autorisation d’exploiter, pouvait être abrogée), mais non comme ici à l’application d’une règle nouvelle aux contrats en cours, puisque les contrats d’achat n’avaient pas encore été conclus.
D’autres pays européens comme l’Italie, l’Espagne, la République Tchèque, la Bulgarie, la Slovaquie ou encore la Roumanie ont introduit des mesures similaires.
Mais le fait qu’une loi porte atteinte à des situations contractuelles en cours n’a rien d’évident, et on peut imaginer que les opérateurs tenteront, si la loi est votée, différentes voies de droit pour sauvegarder leurs intérêts.
Il est évident que la mesure envisagée aurait des effets de grande ampleur sur le business model des opérateurs concernés. Les investisseurs devront également évaluer si la réduction tarifaire les mettra en violation des engagements de prêt et donc si des négociations avec leurs banques seront nécessaires.
Il est évidemment bien trop tôt pour se risquer à analyser la constitutionnalité de cet amendement. On peut toutefois évoquer plusieurs principes :
Un recours devant les juridictions constitutionnelles a été tenté dans d’autres Etats-membres de l’Union européenne. L’Italie avait édicté un décret-loi n° 91/2014 du 24 juin 2014 conduisant à la réduction du tarif d’achat pour les installations photovoltaïques. Les producteurs avaient le choix entre plusieurs options, toutes défavorables (allongement de la durée du contrat, « réorganisation » du tarif en deux périodes (tarif réduit puis tarif majoré) ou réduction pure et simple d’un pourcentage allant de 6 à 8 % du tarif selon la taille de l’installation). Le 24 janvier 2017, la Cour constitutionnelle italienne avait rejeté la question de constitutionnalité, qui était fondée sur les principes de non-rétroactivité de la loi, de confiance légitime, de liberté d’entreprendre et de protection du droit de propriété7 . Il n’est pas certain cependant que le précédent italien soit applicable et condamne tout recours, comme on le verra plus loin.
La CJUE pourrait être saisie par le biais de questions préjudicielles posées par les juridictions nationales.
Elle l’a été s’agissant du décret-loi italien de 2014. Le 29 octobre 2020, l’Avocat général a présenté ses conclusions. Il a considéré que le droit de l’Union (notamment les principes de protection de la confiance légitime, de la liberté d’entreprise, du droit de propriété, et de sécurité juridique) ne s’oppose pas à un dispositif qui « réduit ou retarde de manière significative le versement des mesures incitatives déjà accordées de lege et fixées en vertu de conventions ad hoc conclues par les producteurs d’énergie électrique » tel que le décret-loi italien.8
Toutefois, le cas italien n’est pas en tout point similaire au cas français. Par exemple, l’Avocat général s’était notamment fondé, pour dénier toute « espérance légitime » au maintien du tarif dans le chef des producteurs, sur le fait que dans les contrats d’achat, GSE (l’entité publique en charge de la gestion du mécanisme incitatif) se réservait « le droit (…) d’en modifier unilatéralement le contenu afin de tenir compte de l’évolution du cadre législatif de référence », ce qui « indiquait clairement que ces incitations étaient susceptibles d’être adaptées, voire supprimées, en vertu, précisément, de modifications législatives ». Il conviendrait d’examiner les contrats d’achat conclus en France pour vérifier si une analogie peut être faite – a priori, il est vrai qu’en tant que contrats administratifs, leur contenu peut être modifié unilatéralement par l’acheteur ; mais cela doit s’accompagner d’une indemnité.
En outre, il ne s’agit là que des conclusions de l’Avocat général, et la décision de la Cour est toujours attendue dans les affaires jointes C‑798/18 et C‑799/18, ainsi que dans les autres affaires relatives au dispositif italien (C‑306/19, C‑512/19, C‑595/19).
Rappelons qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».
La Cour européenne des droits de l’Homme a elle aussi été saisie du décret-loi italien (requêtes 20445/15 et 59246/17) et n’a pas encore rendu sa décision.
Toutefois, la protection de la propriété privée n’est pas absolue et toute la question sera donc de savoir si les motifs invoqués par le législateur répondent bien à une « cause d’utilité publique ».
Le droit international public sous forme de traités pour la protection et la promotion des investissements peut également s'appliquer à la révision unilatérale des contrats tarifaires prévue par la législation. Certains de ces traités sont multilatéraux, notamment le Traité sur la Charte de l'énergie (TCE). D'autres traités d'investissement sont bilatéraux. La France a plus de 100 traités bilatéraux d'investissement en vigueur.
Ces traités prévoient la protection des investissements en France par un investisseur d'un État partie au traité. Ces protections varient d'un traité à l'autre, mais comprennent souvent l'obligation pour la France de respecter les obligations qu'elle a contractées avec les investisseurs ou les investissements couverts ; l'exigence d'un traitement juste et équitable, y compris le respect des attentes légitimes de l'investisseur ; la protection contre les mesures discriminatoires ; et l'interdiction d'une privation de l'investissement sans compensation.
Le TCE et les traités bilatéraux d'investissement donnent généralement à l'investisseur un droit de recours direct contre la République française en cas de violation de ces protections de l'investissement. La plainte peut généralement être soumise à un tribunal d'arbitrage international neutre plutôt qu'aux tribunaux français. Le tribunal d'arbitrage applique le traité et le droit international, et non le droit français ou communautaire, pour évaluer la légalité de la mesure. Le résultat de la procédure est une sentence arbitrale, qui peut être exécutée comme les sentences arbitrales commerciales internationales.
Lorsque l'Espagne et l'Italie ont adopté des mesures similaires il y a quelques années, des dizaines d'investisseurs ont déposé des demandes d'arbitrage international à leur encontre en vertu du traité sur la charte de l'énergie. Les résultats de ces affaires ont été variables. Bon nombre des arbitrages ont abouti à des sentences en faveur de l'investisseur se chiffrant en millions d'euros - certains en centaines de millions.
Il est trop tôt pour prédire si la France connaîtra une vague d'affaires similaires. Toutefois, il n'est pas trop tôt pour que les investisseurs étrangers dont les actifs sont menacés par cette nouvelle législation commencent à évaluer leurs options, y compris celles du TCE et d'autres traités d'investissement.
Source : le nouvel article 54 sexies du projet de loi de finances pour 2021 adopté en première lecture par l’Assemblée nationale :
« Le tarif d’achat de l’électricité produite par les installations d’une puissance crête de plus de 250 kilowatts utilisant l’énergie radiative du soleil moyennant des technologies photovoltaïques ou thermodynamiques est réduit, pour les contrats conclus en application des arrêtés du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil telles que mentionnées au 3° de l’article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité, à un niveau et à compter d’une date fixés par arrêté des ministres chargés de l’énergie et du budget de telle sorte que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l’installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n’excède pas une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation. Le projet d’arrêté est soumis pour avis à la Commission de régulation de l’énergie. Cet avis est rendu public. La réduction du tarif tient compte de l’arrêté tarifaire au titre duquel le contrat est conclu, des caractéristiques techniques de l’installation, de sa localisation, de sa date de mise en service et de ses conditions de fonctionnement.
Sur demande motivée d’un producteur, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie, fixer par arrêté conjoint un niveau de tarif ou une date différents de ceux résultant de l’application du premier alinéa du présent article, si ceux-ci sont de nature à compromettre la viabilité économique du producteur, notamment en tenant compte des spécificités de financement liées aux zones non interconnectées, sous réserve que celui-ci ait pris toutes les mesures de redressement à sa disposition et que les personnes qui le détiennent directement ou indirectement aient mis en œuvre toutes les mesures de soutien à leur disposition, et dans la stricte mesure nécessaire à la préservation de cette viabilité. Dans ce cas, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent également allonger la durée du contrat d’achat, sous réserve que la somme des aides financières résultant de l’ensemble des modifications soit inférieure à la somme des aides financières qui auraient été versées dans les conditions initiales. Ne peuvent se prévaloir du présent alinéa les producteurs ayant procédé à des évolutions dans la structure de leur capital ou dans leurs modalités de financement après le 7 novembre 2020, à l’exception des mesures de redressement et de soutien susmentionnées.
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie, précise les modalités d’application du présent article. »
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