Dans l’attente de l’arrivée durable de l’été et de l’adoption du projet de loi travail, nous profitons pour revenir sur les diverses dispositions adoptées pour renforcer la législation relative au détachement de travailleurs et à la lutte contre le travail illégal.
En effet, depuis l’adoption de la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, dite « Loi Savary », présentée dans notre Lettre sociale de Septembre 2014, l’arsenal législatif et réglementaire français n’a cessé de s’étoffer dans le sens d’une extension des obligations à la charge du prestataire de services établi à l’étranger et du donneur d’ordre en France et d’un renforcement des sanctions, notamment par loi du 6 août 2015 dite « Loi Macron ».
A court terme, le projet de Loi Travail devrait également compléter ce dispositif, dans l’attente de la renégociation des directives européennes sur le détachement.
Bonne lecture, et bon été !
Pour rappel, en application de l’article L.1261-2 du Code du travail, les obligations et interdictions qui s’imposent aux entreprises françaises lorsqu’elles font appel à des prestataires de services, notamment celles relatives au travail illégal, s’appliquent dans les mêmes conditions lorsque les prestations de services sont réalisées par des entreprises établies hors de France détachant du personnel sur les territoire national.
Les textes ci-dessus sont venus renforcer les obligations et sanctions prévues dans ce cadre.
(i) Procéder à une déclaration préalable de détachement
Le principe de cette déclaration a été consacré par la Loi Savary. Le décret du 30 mars 2015 précise notamment le contenu de cette déclaration :
Le décret indique par ailleurs que la déclaration est adressée à l’unité départementale créée au sein de la Direccte du lieu où s’effectue la prestation (en cas de pluralité de lieux, compétence de l’unité départementale du premier lieu où s’effectue la prestation).
La Loi Macron apporte les précisions / modifications suivantes :
(ii) Désigner un représentant en France pendant la durée de la prestation
Ce représentant assure la liaison avec les agents de contrôle pendant la durée de la prestation. Le décret du 30 mars 2015 précise que cette désignation fait l’objet d’un écrit de l’employeur et de la mention de l’acceptation de celui-ci.
La désignation comporte toutes les mentions permettant l’identification du représentant. Elle est traduite en langue française.
(iii) Conserver des documents sur le lieu de travail des salariés détachés
Le décret du 30 mars 2015 précise la nature des documents devant être conservés :
Ces documents doivent être traduits en langue française.
(iv) Se soumettre aux injonctions du contrôleur du travail
En application de la Loi Macron, complétée du décret du 3 décembre 2015, en cas de manquement grave du prestataire établi à l’étranger aux droits fondamentaux des salariés détachés, l’agent de contrôle enjoint par écrit à l’employeur (par l’intermédiaire de son représentant en France) de faire cesser ce manquement dans un délai de trois jours à compter de la réception de l’injonction. Ce délai peut être réduit en cas de circonstances exceptionnelles, sans qu’il puisse être inférieur à un jour.
Pour rappel, afin de mettre à la charge de l’utilisateur une obligation de vérification renforcée des conditions de recours à la main d’œuvre par son cocontractant, le donneur d’ordre a l’obligation de procéder aux vérifications en matière de lutte contre :
--> le travail dissimulé :
Au moment de la conclusion du contrat, puis tous les 6 mois, le donneur d’ordre doit se faire remettre par son cocontractant les documents suivants (articles D.8222-5 et D.8222-7 du code du travail) :
Ces vérifications sont obligatoires pour toutes opérations d’un montant au moins égal à 5.000 euros HT (article R.8222-1 du code du travail modifié par le décret du 30 mars 2015).
Jurisprudence : Par deux arrêts du 11 février 2016, la Cour de Cassation a considéré que seule la remise des documents listés à l’article D.8222-5 du code du travail, à l’exception de tout autre, permet au donneur d’ordre d’assurer la bonne exécution de son obligation de vigilance et d’échapper ainsi à la solidarité financière (Cass. Civ. 11/02/2016 n° 14-10614)
--> l’emploi d’étrangers sans titre de travail :
Le donneur d’ordre doit se faire remettre, lors de la conclusion du contrat et tous les 6 mois, la liste nominative des salariés étrangers soumis à autorisation de travail, avec l’indication, pour chaque salarié, de (i) sa date d’embauche, (ii) sa nationalité et (iii) le type et numéro d’ordre du titre valant autorisation de travail (article D.8254-2 du code du travail).
(i) Demande de remise d’une copie de la déclaration de détachement et du document désignant le représentant
En application du décret du 30 mars 2015, en plus des documents mentionnés ci-dessus, le donneur d’ordre doit dorénavant se faire remettre, avant le début de chaque détachement, une copie (i) de la déclaration de détachement transmise à la Direccte et (ii) du document désignant le représentant en France.
(ii) Déclaration subsidiaire en cas de carence du prestataire
En application de la Loi Macron, en cas de carence de l’employeur établi à l’étranger d’établir une déclaration de détachement, le donneur d’ordre a l’obligation d’adresser dans les 48 heures suivant le début du détachement une déclaration subsidiaire à l’inspecteur du travail du lieu où débute la prestation.
Le décret du 19 janvier 2016 fixe la liste des informations (en langue française) que doit contenir cette déclaration subsidiaire, qui sont globalement les mêmes que celles à mentionner par le prestataire étranger, à l’exception notamment des informations sur les modalités de prise en charge des frais des salariés détachés (article R.1263-14 du code du travail).
Il précise également que l’envoi dans les 48 heures de cette déclaration doit pouvoir être justifié par tout moyen lui donnant date certaine.
Un modèle de cette déclaration sera fixé par arrêté.
Le projet de Loi Travail prévoit :
(iii) Vigilance en matière d’application de la législation du travail
Pour rappel, depuis la Loi Savary, le donneur d’ordre, informé par le contrôleur du travail du non-respect par le prestataire de ses obligations en matière de droits fondamentaux des salariés (libertés dans la relation de travail, discrimination et égalité professionnelle, durée du travail, repos, paiement du salaire et règles relatives à la santé et sécurité au travail) a l’obligation d’enjoindre, par écrit, à son co-contractant, de faire cesser sans délai la situation (article L.8281-1 du Code du travail).
Le décret du 30 mars 2015 précise que cette injonction doit être adressée par le donneur d’ordre au prestataire dans un délai de 24 heures à compter de son information.
Le sous-traitant dispose d’un délai de 15 jours pour informer, par écrit, le donneur d’ordre des mesures prises pour remédier à la situation, réponse aussitôt transmise à l’agent de contrôle.
En l’absence de réponse du prestataire dans ce délai, le donneur d’ordre en informe l’agent de contrôle dans les deux jours suivant l’expiration du délai.
(iv) Vigilance en matière d’hébergement
Pour rappel, le donneur d’ordre, informé par le contrôleur du travail du non -respect, par le prestataire, de ses obligations en matière d’hébergement collectif compatible avec la dignité humaine, doit enjoindre, par écrit, à son co-contractant, de faire cesser sans délai la situation (article L.4231-1 du Code du travail).
En cas de non régularisation par le prestataire, le donneur d’ordre est tenu de prendre en charge l’hébergement collectif des salariés.
Le décret du 30 mars 2015 précise que dès réception de l’injonction, le prestataire doit informer dans un délai de 24 heures le donneur d’ordre des mesures prises pour faire cesser la situation. Le donneur d’ordre transmet aussitôt cette réponse à l’agent de contrôle.
(v) Vigilance en matière rémunération minimum
Pour rappel, le donneur d’ordre informé par le contrôleur du travail du non-respect, par le prestataire de ses obligations en matière de salaire minimum (légal ou conventionnel) a l’obligation d’enjoindre, par écrit, à son co-contractant de faire cesser sans délai la situation (article L.3245-2 du Code du travail).
Le décret du 30 mars 2015 précise que le prestataire a alors 7 jours pour informer le donneur d’ordre des mesures prises pour faire cesser la situation, information que le donneur d’ordre transmettra à l’agent de contrôle.
Le donneur d’ordre qui n’a pas enjoint le prestataire de faire cesser la situation ou n’a pas informé l’agent de contrôle de l’absence de réponse est tenu solidairement avec celui-ci du paiement des rémunérations et indemnités dus à chaque salarié et des cotisations sociales y afférentes.
La Loi Macron et le décret du 19 janvier 2016 renforcent ce dispositif pour les salariés détachés, la solidarité financière du donneur d’ordre devenant automatique pour ces salariés en cas de non régularisation par le prestataire, à moins que le donneur d’ordre ne dénonce le contrat de prestation de services (article L.1262-4-3 du Code du travail).
(i) Augmentation du plafond et extension de l’amende administrative
Pour rappel, (i) le prestataire établi à l’étranger ayant manqué à l’obligation de déclaration préalable ou de désignation d’un représentant en France et (ii) le donneur d’ordre qui n’a pas vérifié le respect, par le prestataire, de l’une de ses obligations, étaient passibles d’une amende d’un montant de 2.000 euros maximum par salarié détaché (4.000 euros en cas de récidive) dans la limite de 10.000 euros.
La Loi Macron a renforcé ce dispositif :
(ii) Suspension de la prestation de services
La Loi Macron instaure une nouvelle sanction administrative : la suspension temporaire de la prestation de services, pour une durée maximale d’un mois.
La suspension est encourue dans les cas suivants :
Cette suspension ne peut être ordonnée qu’à défaut de régularisation de la situation par le prestataire, après injonction notifiée par écrit de faire cesser la situation.
Le prestataire qui ne respecte pas cette mesure de suspension encourt une amende administrative d’un montant maximum de 10.000 euros par salarié détaché concerné.
(iii) Diffusion sur le site internet du ministère du travail des condamnations pour travail illégal
Il s’agit d’une peine complémentaire qui peut être décidée par la juridiction qui a prononcé une amende pour des délits de travail dissimulé, prêt de main d’œuvre illicite, délit de marchandage ou délit d’emploi d’étranger sans titre.
Les modalités de cette diffusion ont été précisées par le décret du 21 octobre 2015.
Différence de traitement : « Qui dit conventionnel dit présumé justifié » (Cass. Soc. 8 juin 2016 n°15-11324)
La Chambre Sociale de la Cour de Cassation consacre le principe de présomption de justification des différences de traitement instaurées par voie conventionnelle au bénéfice de certaines fonctions au sein d’une même catégorie professionnelle.
En l’espèce une convention collective prévoyait le versement d’une indemnité de logement aux seuls cadres occupant les fonctions de chef d'agence.
Des personnels « employés » et des cadres n’occupant pas les fonctions de chefs d’agence, exclus du bénéfice de cette indemnité, saisissent les tribunaux en invoquant la violation du principe d’égalité.
La Chambre Sociale rejette leur pourvoi au motif qu’en présence d’une telle présomption de justification, il appartenait aux salariés exclus du bénéfice de cette indemnité de « démontrer que les différences de traitement étaient étrangères à toute considération de nature professionnelle », ce qui n’était pas le cas en l’espèce, cette indemnité étant justifiée par des contraintes inhérentes aux fonctions des chefs d’agence.
Cette décision vient compléter les arrêts rendus le 27 janvier 2015, qui ont consacré une présomption de justification des différences de traitement entre catégories professionnelles distinctes résultant d’accords collectifs.
PSE : une définition trop restreinte des catégories professionnelles justifie l’annulation de la décision d’homologation d’un document unilatéral (CE, 30 mai 2016 n°387798)
Pour rappel :
Dans son arrêt du 30 mai, le Conseil d’Etat confirme tout d’abord que la Direccte est habilitée à contrôler le choix des catégories professionnelles opéré par l’employeur dans le cadre d’un document unilatéral.
Il précise surtout que, même si l’expérience acquise dans le cadre des fonctions peut éventuellement permettre de considérer que des salariés exerçant des fonctions de même nature ne disposent pas d’une formation professionnelle commune, et qu’ainsi, ils relèvent de catégories différentes, c’est toutefois à la condition que les acquis de l’expérience professionnelle correspondent à une formation complémentaire qui excède l’obligation d’adaptation qui incombe à l’employeur.
Le Conseil d’Etat a ainsi annulé l’article de la décision de la Direccte ayant homologué la décision unilatérale de la Fnac définissant notamment la catégorie professionnelle touchée par les licenciements.
Mutations intra-groupe : le régime de la rupture conventionnelle est écarté (Cass. Soc. 8 juin 2016, n°15-17555)
Dans le cadre d’une mutation d’une salariée au sein d’une autre société du groupe, une convention tripartite de transfert avait été conclue, selon laquelle il était mis fin au contrat de travail initial et un contrat de travail avec le nouvel employeur était conclu.
Licenciée quelques mois plus tard par son nouvel employeur, la salariée contestait la rupture amiable du contrat de travail initial.
La Cour d’Appel fait droit à la demande de la salariée, estimant que la rupture du contrat de travail initial n’aurait pu intervenir que dans le cadre d’une rupture conventionnelle, et considère par conséquent que la rupture doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation casse l’arrêt, considérant que les règles relatives à la rupture conventionnelle ne sont pas applicables dans le cadre de mutations intra groupes ou lors de transferts conventionnels de contrats de travail.
Par cette décision, la Cour de Cassation vient dissiper les interrogations suscitées par l’arrêt du 15 octobre 2014, au terme duquel la chambre sociale avait jugé que, sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions de la rupture conventionnelle (Cass.Soc. 15 octobre 2014, n°11-22251).
Demeure cependant la question de la qualification de la rupture, sur laquelle la Cour de Cassation ne s’est pas prononcée.
Harcèlement moral : la responsabilité de l’employeur n’est plus systématique (Cass. Soc. 1er juin 2016, n°14-19702)
Un salarié victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique saisit le Conseil des Prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.
Par arrêt du 1er juin 2016, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence, en admettant que l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement s’il rapporte la preuve qu’il a pris :
En l’espèce, la Cour de cassation a considéré l’employeur exonéré de sa responsabilité puisqu’il avait (i) introduit une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral dans le règlement intérieur, et (ii) pris le soin, dès qu’il avait eu connaissance des faits, de diligenter une enquête interne et d’organiser une réunion de médiation avec le médecin du travail, le DRH et des membres du CHSCT, à l’issue de laquelle avait été décidée l’organisation d’une médiation pendant 3 mois entre les deux salariés concernés.
Présomption de préjudice : revirements de la Cour de cassation (Cass. Soc. 13 avril 2016, n°14-28293 / Cass. Soc. 17 mai 2016, n°14-21872 / Cass. Soc. 25 mai 2016, n° 14-20578)
La Cour de cassation revient sur certaines de ses jurisprudences en matière d’indemnisation automatique, dans des situations pour lesquelles il existait jusqu’alors une présomption de préjudice :
(i) Remise tardive des documents de fin de contrat : la Cour de cassation met fin à la présomption de préjudice en cas de défaut de remise ou de remise tardive de bulletins de paie ou du certificat de travail (Cass. Soc. 13 avril 2016).
(ii) Absence de mention de la convention collective applicable sur le bulletin de paie (Cass. Soc. 17 mai 2016).
(iii) Nullité d’une clause de non-concurrence : la nullité de la clause de non concurrence ne cause plus nécessairement un préjudice au salarié (Cass. Soc. 25 mai 2016).
Dans cette espèce, le salarié avait retrouvé une activité immédiatement après la rupture du contrat, ce dont il résultait qu’il n’avait pas subi de préjudice.
La Chambre sociale considère qu’il appartient désormais au salarié de rapporter la preuve d’un préjudice.
Nous sommes heureux d’accueillir Amandine Moullé-Berteaux, étudiante en licence de droit, pour un stage d’un mois, et Cindy Souffrin, élève avocat, pour un stage de 6 mois au sein de notre équipe.
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